NPA Bourgogne Franche-Comté
  • Les femmes en première ligne au travail… gratuit

    29 avril 2020

    Elles sont soignantes, agentes d’entretien, caissières, agentes du service public comme à la Poste… Les femmes sont majoritaires dans ces emplois à risque peu rémunérés et dont l’utilité sociale apparaît au grand jour en cette période de crise sanitaire.
    Le travail des femmes est en moyenne moins rémunéré : -25 % de revenu net en moyenne par rapport aux hommes, écart dû à la surreprésentation des femmes dans les postes à temps partiels, qui leur sont parfois imposés, à de la discrimination sexiste pure et simple, mais aussi à la dévalorisation des compétences dites « féminines ». Si les infirmières, les institutrices ou les agentes d’entretien sont mal payées, c’est aussi parce que ce sont des métiers vus comme féminins, donc requérants des compétences considérées innées chez les femmes : compétences qu’il semble alors inutile de rémunérer plus. Ce phénomène est particulièrement notable parmi les professeurs : quand la profession se féminise, les salaires baissent.
    Quand il n’est pas mal payé, le travail effectué par de nombreuses femmes en France est souvent carrément gratuit : les dons bénévoles de masques cousus main ou les livraisons de repas maisons pour les soignant⋅es sont bien-sûr réalisés en majorité par : des femmes. Lorsqu’on appelle à la générosité et aux actions bénévoles individuelles (par exemple, lorsqu’on échoue ou refuse de prendre en charge les commandes et distributions de masque à un niveau étatique, comme c’est le cas du gouvernement actuel), on se repose – encore une fois – sur le travail gratuit de nombreuses femmes. L’argument de l’urgence ne suffit pourtant pas à justifier le choix du bénévolat des femmes plutôt que l’industrie : comme le dit Annabelle Locks dans son interview pour agirpourlaculture.be, le bénévolat est un choix « plutôt contreproductif et inefficace » en terme de rapidité de production. Comment justifier alors un choix aussi ouvertement sexiste ? Locks rappelle que « ce n’est pas un oubli ou une panne d’imagination : c’est simplement un moyen de faire des économies, de faire en sorte que cette crise coute le moins cher possible. Ça relève plutôt de l’idéologie néolibérale, celui d’un choix purement économique ».
    Au sein du foyer aussi, on se repose sur le travail gratuit des femmes – et en période de confinement, ça commence à se voir. Faire le ménage, les repas, les courses, veiller au bien- être des enfants : autant de tâches qui incombent largement plus aux femmes qu’aux hommes en France aujourd’hui. Comme si sans elles, le foyer s’écroulait. Devoir tout prévoir, être responsable du bon déroulement de la vie domestique, c’est ce qu’on appelle « la charge mentale » qui pèse lourd sur leurs épaules. Les mesures de confinement n’ont bien-sûr rien arrangé – et pourtant, un certain nombre d’hommes sont confinés chez eux, en télétravail ou au chômage partiel : spoiler alert, ils ne participent pas plus qu’avant à la vie du foyer et aux tâches ménagères. Le confinement catalyse et amplifie les injustices du patriarcat, lesquelles apparaissent d’abord au sein de la sphère familiale et privée. Conjointement à l’accentuation de la charge mentale, on observe une augmentation des conflits au sein des ménages autour de questions domestiques, comme l’éducation des enfants et la réalisation de tâches ménagères, comme le montre une étude Ifop de mars 2020. Cela témoigne d’une augmentation des risques de violence au sein des ménages, dans un contexte de tension et de vulnérabilité plus grande des victimes de violences, parfois confinées avec leur (potentiel) agresseur.
    Le travail domestique gratuit fait partie, comme le rappelle le dernier article d’Aurore Koechlin dans Contretemps, du travail reproductif attendu des femmes et qui permet au capitalistes de faire tourner l’économie : reproduire la force de travail, assurer le maintien des naissances, le soin des enfants, l’éducation des futurs travailleurs. Le travail reproductif, c’est aussi le travail du soin, des aides-soignant.es et infirmier.ères, des prof, etc. Mettre en place des mesures de confinement et promettre des aides et des primes à celleux qui travaillent encore et sur qui beaucoup repose, c’est favoriser le travail reproductif au détriment du travail productif. Cette contradiction interne au système capitaliste n’est pas accidentelle : les classes dominantes ne se sont pas soudainement convertis en défenseuses des métiers du soin ; elles assurent juste le minimum de reproduction pour sauver leurs amis patrons et entretenir un maximum de production.

    L’épidémie mondiale instrumentalisée contre les droits des femmes.

    Comme à chaque occasion qui se présente pour les machistes, les droits des femmes sont encore aujourd’hui remis en question par les hommes à travers le monde. Exemple du droit à l’IVG, menacé partout où il avait été gagné il y a des années. La crise actuelle n’est qu’un accélérateur des difficultés pratiques opposées à l’exercice de ce droit depuis longtemps :

    • En France, recourir à une IVG (Interruption Volontaire de Grossesse) était déjà en temps normal un parcours semé d’embûches, entre délais de réflexion trop courts, déserts médicaux et abus de clause de conscience. Avec les mesures de confinement, la situation est devenue encore plus compliquée. L’accès à la contraception et aux tests de grossesse est restreint. Les personnes mineures confinées avec leur famille ont peu d’opportunités d’aller acheter un test, et il est plus difficile de protéger sa vie privée. Par ailleurs, de nombreuses personnes ne consultent tout simplement pas, peut-être par peur d’encombrer les services de soin. Cependant, y compris pendant le confinement, les plannings familiaux travaillent activement pour aider et renseigner les femmes qui envisagent de recourir à une IVG. Le 0 800 08 11 11, numéro vert du gouvernement pour « répondre à toutes vos questions sur les sexualités, la contraception et l’IVG », est toujours en service.
      Quelques avancées légales cependant : en France, le délai légal pour procéder à une IVG médicamenteuse est passé de 7 à 9 semaines d’aménorrhée le 15 avril dernier. Mais cela ne suffit pas : cet allongement du délai n’a pour l’instant pas vocation à rester en place après le confinement. Les propositions de raccourcissement du délai de réflexion, ou d’allongement des délais légaux pour une IVG instrumentale, demandé depuis des années par les associations féministes et les plannings, ont été rejetées. Or les femmes qui auront renoncé à consulter pendant le confinement ont plus de chance de se retrouver hors des délais légaux en France lorsqu’elles voudront avorter.
      Il est toujours possible d’avorter à l’étranger malgré le confinement, sous certaines conditions. Il faut pour cela contacter le planning de sa région.
    • Au niveau européen, la fermeture des frontières est un problème pour les nombreuses femmes qui vont avorter à l’étranger, lorsque l’IVG est interdite ou limitée dans leur pays. En Pologne le parlement examine un texte qui restreindrait drastiquement le droit à l’avortement.
    • Aux Etats Unis, notamment dans le Sud du pays, notoirement conservateur, dans des Etats où le droit à l’avortement est en permanence menacé, l’administration et les hommes politiques profitent de la crise sanitaire pour le restreindre drastiquement. C’est le cas dans l’Ohio ou au Texas par exemple, où les interventions médicales « non immédiatement nécessaires sur un plan médical » sont repoussées, y compris les IVG, sauf en cas de danger pour la vie de la mère. Dans l’Ohio, des cliniques résistent : si elles ont accepté de repousser les interventions non urgentes, elles affirment qu’elles continuent de pratiquer des IVG, car celles- ci sont des interventions essentielles.

    Au delà de l’accès à l’avortement, c’est globalement l’ensemble des droits des femmes et des minorités de genre qui est menacé en permanence : le patriarcat agit sur tous les fronts.

    • En Hongrie, un des premiers projets de loi proposés, depuis que le gouvernement a voté l’équivalent des pleins pouvoirs au premier ministre Viktor Orban, vise à empêcher tout changement de la mention du sexe à l’état civil. Cette mesure attaque directement les droits des personnes trans.
    • En Colombie, le confinement exacerbe les violences auxquelles les femmes sont confrontées : l’organisation canadienne Kairos dénonce des assassinats et l’augmentation générale de la violence de genre, parallèlement à la crise du Covid. Des groupes armés assassinent et violentent les populations fragiles, les communautés indigènes et afro-colombiennes, travailleur’euses des zones rurales principalement, ainsi que des militant’es feministes et LGBTI. D’après Kairos, ces groupes armés profitent des « fissures institutionnelles renforcées » par l’épidémie de Covid19. Ainsi, le 24 mars dernier, la militante féministe Carlota Isabel Salinas Perez, membre de l’Organizacion Feminina Popula, a été assassinée alors qu’elle collectait des aliments pour des familles dans le besoin. L’association réclame un soutien international ainsi que des autorités pour protéger les femmes et les militant’es sociaux.
    • En Tunisie, les conditions d’hygiène et de confinement sont impossibles à respecter partout, et par toutes : l’eau potable et salubre y étant une ressource rare, les femmes et les enfants – chargé⋅es, dans certaines régions, du travail de récupération d’eau aux sources – sont d’autant plus exposé⋅es au risque de contamination. Ces femmes agricultrices n’ont pour la plupart même pas de couverture sociale. Le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux rappelle donc le besoin d’une politique féministe dans une Tunisie où les droits à l’eau et à une agriculture correctement rémunérée sont écrasés, mais où le féminisme ne fléchit pas.

    Ce n’est ici qu’une série d’exemple parmi d’autres, qui mettent en lumière l’importance de notre soutien/mobilisation/complicité avec les luttes féministes du monde entier pour un meilleur accès aux soins et aux droits et pour une réelle reconnaissance de leur travail.

    Pour aller plus loin :
    Les femmes en première ligne en Tunisie
    Favoriser la reproduction plutôt que la production : Aurore Koechlin
    Interview de Annabelle Locks sur l’essentialisation du travail des femmes