NPA Bourgogne Franche-Comté
  • Les classes populaires exposées et le parti travailliste à la dérive en Grande Bretagne : Lutter pour un nouveau mouvement anticapitaliste !

    29 avril 2020

    La crise du COVID-19 en Grande-Bretagne :
    Outre-manche les classes populaires ne l’ont pas meilleur qu’en France. La gestion de la crise du Coronavirus par le gouvernement Johnson y est aussi désastreuse que chez nous : pas assez de tests, manque d’équipement (surblouses, masques) et de personnels dans les hôpitaux du NHS (la sécurité sociale britannique). Tout ceci est le fruit d’une politique de destruction des services publics entamé depuis la fin des années 1970 et les gouvernements Tatcher et poursuivie par ses successeurs. Le gouvernement, qui avait d’ailleurs tablé sur un plan sans confinement en misant sur une immunisation de groupe, fut rapidement contraint de revoir ses plans et de confiner à son tour sa population.
    Alors que la situation est catastrophique, avec un nombre de morts officiellement déclaré supérieur à 20 000 (probablement sous-estimé selon les syndicats de travailleurs de la santé, notamment dans les maisons de retraite), de plus en plus d’acteurs politiques demandent le déconfinement rapide du pays. Le gouvernement conservateur est alors divisé entre d’un côté le premier ministre (Boris Johnson) et le ministre de la santé (Matt Hancock) voulant maintenir le confinement et suivre les recommandations des instances sanitaires (SAGE) craignant une seconde vague, et d’un autre, le ministre de l’économie (Sajid Javid) et le ministre au bureau du cabinet (Michael Gove) voulant rapidement libérer l’économie.
    Cette division du parti conservateur aurait pu être une faille dans laquelle le parti travailliste, seule opposition de gauche au parlement, aurait pu s’engouffrer pour faire prévaloir des mesures plus justes socialement. Car confinement ou déconfinement, ce sont les plus précaires qui en subiront les conséquences. Malheureusement le parti travailliste est lui-même extrêmement divisé.

    Une histoire récente du parti travailliste :
    Le parti travailliste (Labour) est depuis le début du 20e siècle le parti de la classe ouvrière britannique. Contrairement au parti socialiste français, il conserva une position hégémonique à gauche, tant le parti communiste et d’autres partis de gauche radicale n’ont jamais pu exister à ses côtés. La raison à cela est que le Labour est, dès ses premiers jours, un parti « fédération », au sein duquel ont toujours coexisté socio-libéraux, démocrate-socialistes, socio-démocrates et marxistes. A cause de cette nature mixte, et du poids des syndicats britanniques, très réformistes, auxquels il est subordonné, le Labour a toujours été en tension mais la plupart du temps dirigé par sa frange modérée.
    La crise actuelle possède un caractère intéressant qui nécessite de comprendre l’histoire récente du parti. En 2015, Jeremy Corbyn, un député se revendiquant du Marxisme accède à la tête du parti. Porté par un mouvement populaire important et constitué sur le moment pour porter sa candidature il est élu avec une majorité écrasante. L’avènement de Corbyn à la tête du parti marque un moment historique dans les annales travaillistes : c’est la première fois qu’un marxiste arrive à la tête du parti. Jeremy Corbyn et son mouvement imposeront un programme radical : nationalisations, multiplication des aides sociales, augmentation des pensions de retraite, réduction de l’âge de départ, transition écologique, redistribution des richesses, gratuité de l’accès à l’université, annulation de la dette étudiante, etc.
    Très rapidement la droite du parti, notamment la frange parlementaire de celui-ci, héritière du Blairisme des années 1990 et 2000, va chercher à faire tomber Corbyn. D’abord par un coup, en 2017, qui échoua monumentalement en permettant à Corbyn de se refaire élire à la tête du parti avec une majorité encore plus grande. A ce stade, le parti travailliste avait récupéré plus de militant.e.s, devenant ainsi le plus grand parti politique d’Europe en termes de nombre d’adhérent.e.s. Cette croissance peut s’expliquer par le retour au sein du parti travailliste des forces qui l’avaient quitté pour tenter de fonder – en vain – des partis plus à gauche, pour donner une voix réelle aux classes populaires. Ainsi, les membres du parti socialiste, du parti socialiste des travailleurs et même du parti communiste britannique avait apporté un soutien à la campagne de Corbyn en militant pour le parti travailliste. Les élections législatives de 2017 auront alors vu la plus grande progression en termes de vote pour le parti travailliste depuis de nombreuses élections et la victoire lui échappa de peu.

    La crise actuelle au sein du parti travailliste :
    Les élections de 2019 auront été une bérézina pour le Labour. Jeremy Corbyn enregistra les résultats les plus faibles de l’histoire du parti depuis 1935 (en nombre de sièges obtenus). La raison à cela, en plus de l’aliénation de la droite du parti, était la politique modérée à l’égard de la sortie de l’Union Européenne. Historiquement Corbyn n’a jamais été pro-UE. Il s’était opposé à l’entrée dans l’UE, au traité de Maastricht et au traité de Lisbonne. Il a également admis qu’il avait voté pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne en 2016. C’est sur ce plan que la droite du parti décida de le faire tomber. Une des conditions du soutien de la droite du parti était une politique pro-UE notamment la demande d’un second référendum, ce qui était difficile à défendre pour Corbyn. Cela était difficile à défendre personnellement pour lui au niveau de ses convictions, mais également vis-à-vis de son électorat, les classes populaires, qui avaient majoritairement voté pour la sortie de l’UE. La position fut néanmoins imposée aux corbynistes par la scission d’une partie de la droite du parti sur cette question. Pour éviter un éclatement du parti en pleine crise politique du Brexit, Corbyn avait choisi une position consensuelle.
    Les médias attaquèrent alors Corbyn sur deux plans : sa position schizophrène sur l’Union-Européenne mais aussi un supposé antisémitisme. Usé après la campagne électorale Corbyn démissionna de la tête du parti et privé de sa figure centrale, le mouvement ne réussit pas à rebondir et un nouveau leader modéré fut élu (Keir Starmer).
    C’est cette question de l’antisémitisme qui a amené la crise actuelle au sein du parti. Le rapport de l’enquête demandée par la droite du parti sur l’antisémitisme au sein du Labour a fuité et elle montre que non seulement l’antisémitisme au sein du parti travailliste est inexistant mais surtout, elle révèle que des personnalités de premier plan du parti (des député.e.s et des permanent.e.s) ont œuvré à la défaite en 2017 et 2019, en apportant leur soutien à des concurrents politiques ou simplement en sabotant la campagne de l’intérieur. L’une des candidates à la succession de Corbyn (Lisa Nandi) était d’ailleurs au centre de cette conspiration.
    Cette trahison de la part de l’establishment du parti travailliste découragea la gauche du parti qui est maintenant divisée elle-même autour de la question suivante : faut-il rester au sein du parti et essayer de le recapturer comme l’ère Corbyn montra qu’il était possible de le faire ou faut-il l’abandonner car il est une cause perdue ?
    Toutes les tentatives de constructions de parti à gauche du parti travailliste se sont soldées par des échecs relatifs (seuls deux partis réussissent à se maintenir, le parti socialiste et le parti socialiste des travailleurs). Il reste cependant des possibilités pour le mouvement social d’émerger : la gestion désastreuse de la crise du COVID-19 ainsi que les attaques prévues sur les classes populaires et les services publiques britanniques de la part du gouvernement Johnson risque de provoquer la colère des plus précaires. La gauche radicale et la gauche révolutionnaire britannique ont parfois pu, avec succès, s’allier et soutenir le mouvement social par le passé. La dernière trahison du parti travailliste combiné à une situation toujours plus intenable pour les plus pauvres permettra peut-être alors la restructuration du mouvement social en dehors de ses limites, ce qui lui permettra alors d’incarner une réelle rupture avec le consensus capitaliste sauvage des quatre dernières décennies.