NPA Bourgogne Franche-Comté
  • DISPARITION DE P. RABHI

    22 décembre 2021

    Avec la déférence que l’on doit envers toute disparition, qu’il nous soit permis cependant d’évoquer de façon critique l’action publique qu’a été celle de l’homme Pierre Rabhi.
    Car, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a comme un écart entre son image médiatique soigneusement entretenue et la réalité du personnage et de sa pensée.

    Un premier écart se trouve entre, d’une part, les nombreux titres dont il se parait ou se laissait parer sans les démentir. Et, d’autre part, la véracité de ces auto-promotions. Ainsi de ce titre de « expert international » en questions alimentaires. Alors qu’il n’a jamais fait d’études qui pourraient correspondre à cela et n’a jamais publié d’ouvrage d’agronomie ni d’article scientifique. Idem avec cette anecdotique étiquette de poète dont on l’a affublé alors qu’il n’a écrit aucun recueil de poésie... ou d’ouvrier à la chaîne alors qu’il ne l’a été que quelques mois comme magasinier. Le moins que l’on puisse dire, en tout cas, c’est que son savoir-faire en matière agricole était très limité, s’inspirant de la controversée anthroposophie et fut contesté – notamment par René Dumont qui vint visiter son travail effectué dans les années 80 au Burkina Faso que Rabhi, par la suite, dut quitter précipitamment(1).

    Un deuxième écart, c’est celui entre l’affichage d’un style de vie simple avec tenue vestimentaire rustique, sandales, natte pour dormir et promotion de la pauvreté, terme changé par la suite en « sobriété heureuse ». Comparé à la réalité de ses revenus : une enquête de journaliste en 2018 nous apprenait qu’il avait touché en 10 ans, 500000 Euros de droits d’auteur et qu’il facturait cher les nombreuses conférences qu’il donnait(2). Ce qui lui faisait dans les années 2000/2010 entre 7 et 10000 Euros par mois. Ceci sans reverser un seul centime à ses deux associations, Terre et Humanisme et Colibris. Association Colibris pour laquelle 4000 donateurs versent, eux, entre 5 et 10 Euros par mois. Associations pour lesquelles viennent travailler bénévolement de nombreux sympathisants, moyennant le gîte et le couvert. Le tout avec l’assistante personnelle de P. Rabhi rémunérée par les fonds de ces associations et non sur ses revenus à lui...

    Enfin, un écart plus fondamental chez P. Rabhi, c’est celui entre certaines prises de position radicales, par exemple contre « les salopards qui font du profit et se foutent de l’avenir », face auxquels on se sent « obligé de prendre le maquis » en appelant à « l’insurrection des consciences ». Et une pratique très consensuelle qui ne dérange aucun gros intérêt en place. Dans un rapport d’activité de l’association Colibris, il est traité de la création d’un « laboratoire des entrepreneurs Colibris » où « On peut réunir un PDG, un associatif, une mère de famille, un agriculteur, un élu, un artiste, et ils s’organisent pour trouver des solutions qu’ils n’auraient jamais imaginées seuls ». Et c’est ainsi que Rabhi a toujours fréquenté des grands patrons comme Faber de Danone, Jean-Pierre Petit de McDonald’s ou le milliardaire J.A. Granjon(3). Certains versent des sommes à ses associations ou ont carrément aidé à leur création. Rabhi est allé à l’université d’été du MEDEF, a rencontré Macron en campagne en 2017 tandis que S. Royal lui avait remis la légion d’honneur... On peut ajouter à la liste de ces rebelles prêts à prendre le maquis un Stéphane Le Foll, une Anne Hidalgo, une Françoise Nyssen, ex-ministre sous Macron, tout comme Nicolas Hulot...

    C’est que le très pieux P. Rabhi, qui a eu pour mentors dans sa jeunesse des personnalités vichystes, n’a jamais voulu entendre parler de lutte de classes ni même de philosophie des Lumières : « Avec l’affirmation de la raison, nous sommes parvenus au règne de la rationalité des prétendues Lumières, qui ont instauré un nouvel obscurantisme, un obscurantisme moderne (...) ». Ni même parler de sécurité sociale : « Beaucoup de gens bénéficient du secourisme social. Mais, pour pouvoir secourir de plus en plus de gens, il faut produire des richesses. Va-t-on pouvoir l’assumer longtemps ? ». Ni même de mariage pour tous : « Je considère comme dangereuse pour l’avenir de l’humanité la validation de la famille “homosexuelle”, alors que par définition cette relation est inféconde ». Pas même d’égalité hommes/femmes : « Il ne faudrait pas exalter l’égalité. Je plaide plutôt pour une complémentarité : que la femme soit la femme, que l’homme soit l’homme et que l’amour les réunisse. »
    Que reste-t-il alors ? Un moraliste réactionnaire avec quelques connaissances en maraîchage qui aura su se mettre en scène, comme un souffle artificiel de ventilateur dans les allées d’une ferme en carton-pâte...

    Alain Lorenzati décembre 2021

    (1) Retour sur « Le système Pierre Rabhi », par Jean-Baptiste Malet (Le Monde diplomatique, novembre 2018)

    (2) https://youtu.be/OPLt-yd0jQo

    (3)https://www.monde-diplomatique.fr/2018/08/MALET/58981