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  • DEVELOPPEMENT PERSONNEL ET LIBERALISME

    24 février 2024

    DEVELOPPEMENT PERSONNEL ET LIBERALISME

    Si autrefois l’humanité a été magicienne faute d’être mécanicienne, on constate depuis un moment un retour de mouvements spiritualistes contestant la mécanique pour réhabiliter le magique. La vague du développement personnel est de ceux-là qui promeut en général une hygiène physique et/ou mentale permettant d’abandonner sa vieille vie pour une renaissance toute individuelle avec des attendus pas toujours conformes aux données de la science. Le tout nécessitant la médiation de coachs ou gourous le plus souvent rémunérés.

    Comment appréhender ce phénomène ? Selon nous, il émane d’une déception face au matérialisme de nos sociétés aux avancées technologiques portées par la science. Avancées qui se développent sous la férule du capital qui les met d’abord à son service, créant inégalités et frustrations.
    On peut donc comprendre cette déception et cette recherche d’autre chose sauf que le développement personnel ne s’attaque pas au capitalisme générateur de ces inégalités et frustrations. Au contraire, il le conforte en prônant l’adaptation de l’individu aux lois du marché. Libéralisme et développement personnel marchent donc main dans la main et l’on peut même dire que ce dernier est en quelque sorte la religion propre au capitalisme, sa respiration ou sa soupape de sécurité – en termes marxistes, sa superstructure, une idéologie au service de l’infrastructure social-économique.

    C’est une idéologie éclectique qui prend ce qui l’arrange dans toutes les spiritualités antérieures, particulièrement le bouddhisme mais aussi dans l’astrologie, la numérologie, les tarots et autres pratiques plus ou moins exotiques.
    On note d’ailleurs des analogies entre le développement personnel et les anciennes spiritualités. Ainsi, même si les termes différent, il existe bien une filiation entre l’ancienne prière et l’actuelle méditation. Ou entre l’ancienne conversion et l’actuelle renaissance spirituelle due à l’adoption volontaire de nouvelles pratiques prêchées par les nouveaux prêtres que tendent à être les coachs et autres intercesseurs...

    Cependant, le développement personnel se démarque sur un point important des anciennes religions quant à la pression collective qu’elles exerçaient alors sur les individus sommés de consacrer beaucoup de leur temps aux affaires spirituelles comme prier à divers moments de la journée, jeûner, faire la charité ou encore partir en pèlerinage...
    Cet abandon de ces pratiques s’explique logiquement au vu des nouvelles nécessités engendrées par les rapports de production capitalistes : l’essentiel du temps doit être consacré à la mise en valeur du capital (la production), principalement en tant que travailleur salarié. Cette évolution s’illustre, par exemple, au regard d’un calendrier de l’Ancien régime truffé de jours chômés de nature religieuse que le capital n’a eu de cesse de gommer.

    Le développement personnel a donc promu de nouvelles pratiques, plus souples et individualisées, qui s’adaptent mieux au nouvel agenda libéral : on peut méditer seul dès que l’on a cinq minutes à soi dans l’entreprise ou à la maison après le travail – tout comme c’est sur son temps laissé libre par le capital (le temps de la reproduction de la force de travail) que l’on aura rendez-vous avec son coach ou son groupe de yoga, le week-end ou pendant les vacances.

    Une autre filiation entre le libéralisme et le développement personnel, c’est que tout deux supposent un individu rationnel et libre de gérer sa vie. Un peu telle une petite entreprise dont il faut améliorer les performances, notamment au gré de stages souvent proposés par le développement personnel à des prix plutôt élevés. Même si certains sont désormais pris en charge par la formation professionnelle, secteur public passoire dans lequel des affidés du développement personnel ont fait leur nid. Ainsi par exemple avec l’IRIS Intuition qui se présente comme une école mais est en fait une société à actions simplifiée (SAS). Avec d’autres du genre, elle a l’autorisation du ministère du Travail pour vendre des stages à des entreprises privées ou publiques comme EDF, pour la formation de ses employés.

    Ainsi adossé au capital, le développement personnel n’aborde pas la question des rapports de production ou d’existence de classes sociales aux intérêts divergents. Il est plutôt demandé d’esquiver les conflits et d’avoir la positive attitude, ce que l’on appelle également le solutionnisme : à chaque problème, sa solution, regarder devant soi, en aval, sans remettre en cause le cadre sociétal mis en place en amont. Bref, savoir s’adapter, rebondir en gardant le sourire du Bouddha. La parenté ici est nette entre le langage du management et celui du développement personnel : le coach parle comme un DRH et vice et versa.

    Cette conception d’un libre individu qui fait ses choix dans un marché supposé transparent a pour conséquence de dédouaner les institutions capitalistes et rend cet individu responsable de ce qui lui arrive. Ce qui est très culpabilisant voire dévastateur en cas d’échec de la personne, dans sa vie privée comme professionnelle.
    Dans le même sens, si autrefois la religion prônait l’abnégation pour une existence meilleure après la mort, aujourd’hui, le libéral développement personnel promet certes une vie augmentée sur terre, mais avec une pression performative sans fin (on peut toujours s’améliorer) qui peut entraîner frustration, fatigue et même dépression.
    Au passage, ce dogme libéral du libre arbitre tend à gommer le fait d’avoir un inconscient qui présente un individu moins lisse, plus entravé que ne le voudrait l’optimiste développement personnel (et le patron d’une entreprise qui veut du rendement via un investissement total du salarié). C’est pourquoi, pas tous, mais beaucoup de soutiens du développement personnel ignorent la psychanalyse, voire lui sont opposés.

    Au final, le développement personnel s’avère bien participer d’une idéologie émanant du capital, empirique et syncrétique à la fois, louvoyant entre reprises des anciennes spiritualités conservatrices et inscription volontariste dans le marché capitaliste, entre passéisme et modernisme libéral. On retrouve ici l’alliance nécessaire entre la survivance de l’ancienne idéologie du groupe dominant d’alors et la nouvelle pour asseoir une hégémonie culturelle efficace dont parlait Antonio Gramsci, le Lénine italien.