NPA Bourgogne Franche-Comté
  • Ouvrez les frontières : reportage à Calais

    10 juin 2016

    Des milliers de migrant-e-s ont trouvé la mort en Méditerranée pendant que l’Europe, soit disant impuissante, regarde ailleurs. Lorsque ces peuples qui fuient la misère, la guerre, la violence et les menaces entrent sur le territoire « européen », ces derniers font l’objet de diverses stratégies politiques. Depuis les années 2010 on assiste passivement à l’arrivée de milliers de migrant-e-s en Europe originaires d’Afrique, du Moyen Orient, d’Asie du Sud. L’Organisation Internationale pour les Migrants (OIM) et le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) faisaient état en décembre 2015 de 1 005 504 entrées de migrant-e-s en Europe, par voies maritime et terrestre. L’Europe tente d’imposer des quotas aux pays. Des pays ferment leurs portes et construisent des murs, d’autres l’entrouvrent et ouvrent des camps.

    Avec M-P. L. nous avons passé cinq jours au contact de ces personnes. Une rencontre humaine paradoxalement vivante, où la misère se joint à l’espoir et à l’amitié. Ainsi nous sommes allés en tant que bénévoles sur le camp de la linière, à Grande Synthe, près de Dunkerque. À l’heure où les frontières se ferment, le camps de Grande Synthe a ouvert. Cette ville du département du Nord fait partie de l’agglomération de Dunkerque. Un camp sauvage, construit spontanément par une centaine de réfugié-e-s, se trouvait au cœur de la ville. Lorsque les flux de migrants a augmenté la ville s’est confrontée à l’explosion du nombre de migrant-e-s. La municipalité largement soutenue par Médecin Sans Frontière a pris l’initiative d’ouvrir un centre d’hébergement sur une friche industrielle. D’un côté, l’ancien camp, des centaines de tentes misérables, posées sur une mer de boue, dans laquelle on s’enfonce jusqu’à la cheville. De l’autre, des cabanons en bois sur un sol en gravier. Les migrant-e-s - pour l’essentiel des Kurdes - sont donc installé-e-s en bordure de l’autoroute A16, qui mène vers Calais et le Royaume-Uni.

    L’association Utopia 56 s’occupe de la gestion de ce site avec l’aide de plusieurs dizaines de bénévoles (environ 120). Près de 1500 personnes sont donc logées dans des « shelters » de petite taille où vivent des familles et de nombreux enfants. Le quotidien de ce camp est rythmé par la participation de bénévoles. Des bénévoles issu-e-s du monde entier qui partagent la même envie d’aider. Les associations ont ouvert un centre culturel, lieu d’apprentissage pour tous les âges. L’espace culturel se révèle être facteur d’intégration, il assure des cours d’anglais et désormais des cours de français, indispensables pour les demandeurs d’asile ! Un énorme travail est mené afin de rendre la vie des migrant-e-s la plus facile possible. Ils s’occupent également de la sécurité des migrant-e-s dans leurs déplacements, de la distribution de repas midi et soir, de biens de première nécessité, de la distribution de vêtements, ils gèrent la laverie, prennent en charge la construction pour améliorer, agrandir, réparer les cabanons,.. Cette association, aidée d’employés municipaux embauchés pour l’occasion sont présents en permanence pour stabiliser le camps. Des bénévoles souvent aidé-e-s par la spontanéité des migrant-e-s dans la réalisation des différentes tâches.

    La bonne humeur des personnes sur place, la gratitude des migrant-e-s, la motivation des bénévoles alliées à l’espoir d’une vie meilleure permettent au camp de se développer dans une atmosphère relativement paisible. La vie sur le camp est intense, malgré des périodes plus difficiles il existe des réels temps de partage, d’échanges et de vie commune. La présence d’enfants, de nouveau-nés rend l’action d’autant plus indispensable.

    En France le camp de Calais reste le plus connu et le plus médiatisé. Les migrants viennent du monde entier et espèrent trouver en France le droit de vivre dignement. Ce camp à l’allure de bidonville est constamment pointé du doigt, désigné comme inacceptable et indésirable. Le sol boueux, les écoles, les épiceries de fortune, les restaurants, les coiffeurs, etc. font de ce camp un village autonome, ou presque. C’est sans compter le rôle des associations présentes au quotidien pour faciliter la vie des migrant-e-s notamment par la distribution de repas et de vêtements préparés à quelques kilomètres du camp par « l’Auberge des Migrants ». Récemment l’État a décidé de détruire la partie sud de « La Jungle », habitée par des centaines de personnes qui se contentaient d’habitations misérables souvent faites de bois et de bâches. La seule intervention étatique apparaît être celle de détruire le camp, défaire cette communauté pour les inciter à quitter le pays. Pays qui pourtant était source d’espoir, pays pour lequel certains ont tout quitté.

    On peut y voir une perte d’autonomie et une forme de dépendance dans l’assistance permanente, de plus cette « pérennisation » de la situation qui fait si peur à l’État, peut être dangereuse et contribuer à l’exclusion de ces personnes. Mais il s’agit aussi de faciliter la vie de familles, de femmes et d’enfants qui n’ont plus rien à perdre, il s’agit d’aller à l’encontre des politiques gouvernementales et européennes qui tendent à délaisser les gens dans le besoin. En agissant de la sorte, la municipalité et les associations sur place affirment le besoin de venir en aide aux réfugié-e-s et de ne pas tomber dans l’indifférence. On se refuse d’interdire aux citoyens du monde le droit de vivre dignement. Le camp de la linière s’inscrit dans une politique de relais, de compensation face aux manquements des politiques internationales, il ne s’agit pas de parquer des gens définitivement.

    La volonté pour ces pauvres gens, qui vivent dans des conditions déplorables est celle de vivre plus décemment. Beaucoup rêvent de l’Angleterre parce qu’il est plus facile de trouver un logement, plus facile de travailler. D’autres souhaitent obtenir l’asile politique et pouvoir s’adapter. Pour cela ils sont prêts à prendre tous les risques pour traverser la Manche. Chaque nuit, des migrant-e-s tentent leur chance dans cette traversée périlleuse et épuisante, en sachant qu’ils ont déjà parcouru des milliers de kilomètres. C’est malheureusement souvent un échec. Certain-e-s avisent de rentrer dans leur pays d’origine s’ils restent cloîtré-e-s dans des camps. On le sait, la position de nos politiques n’est pas favorable aux demandeurs d’asile. Dans ce cadre il est nécessaire de se mobiliser comme on le peut pour permettre aux réfugiés de retrouver un peu de dignité en attendant la reprise de leurs droits. L’association Utopia 56 a besoin de bénévoles de manière continue, ils ont besoin de donations pour permettre au camp de fonctionner et ne pas laisser les réfugié-e-s une fois encore seul-e-s et isolé-e-s. [Leur site] L’État vient de reconnaître le camps et n’a à cette heure toujours pas contribué financièrement à la gestion. Des prêts personnels sont parfois contractés par les coordinateurs.

    Rencontrer les personnes sur place et se rendre compte de l’ampleur des dégâts est nécessaire à ceux qui sont sceptiques quant à l’accueil de réfugié-e-s. Une phrase révélatrice qu’un bénévole, Sébastien, m’a dit pendant un trajet en voiture était « Je suis bien ici, je crois que je préfère être ici qu’être à mon travail ». Il s’agit de se rendre utile comme on le peut, de rencontrer des femmes et des hommes dont les conditions de vie sont exécrables et qui ne peuvent durer. L’action sur le terrain doit être transitoire, elle ne peut pas être définitive, elle ne doit pas contribuer à pérenniser cette misère.

    On ne choisit pas de tout perdre, on ne choisit pas d’être victime des guerres tout comme on ne choisit pas la précarité et la marginalisation. Le combat contre l’abandon des réfugiés, pour leur intégration et la fin du chaos qui règne dans leurs différents pays est du même ordre que le combat contre les inégalités, contre l’exclusion et contre l’exploitation dans le monde.

    R.J.