NPA Bourgogne Franche-Comté
  • "MON GISCARD"

    17 décembre 2020

    "MON GISCARD(1)"

    A l’occasion de son décès, permettez ici cette évocation de l’ex-président, plutôt sous le prisme du témoignage de quelqu’un qui accédait à la majorité civile tout en faisant ses premiers pas de militant au moment du septennat giscardien.

    Aujourd’hui, on gratifie surtout l’ancien président d’avoir « modernisé la France » - notamment avec l’abaissement de l’âge de la majorité (de 21 à 18 ans). Mais aussi avec la première loi légalisant l’avortement et d’autres dispositions tenant compte de l’évolution des moeurs (le divorce à l’amiable). Certes, mais il faut dire que l’esprit de Mai-68 soufflait toujours fort. Les idées contestataires, comme on disait à l’époque, remettaient en cause non seulement le monde économique et politique mais aussi une institution traditionnelle comme la famille. L’équipe giscardienne, dont le chef de file avait été élu avec très peu de voix d’écart (50,81%), était contrainte d’avancer sur ces sujets avec une épée dans le dos. Giscard lui-même a reconnu que ses convictions personnelles n’étaient pas favorables à l’IVG. Ni non plus à l’abolition de la peine de mort, pourtant fortement remise en cause à cette époque (elle sera abolie dès 1981 par Mitterrand). Non seulement Giscard maintint la guillotine mais le grand libéral n’a même pas usé de son droit de grâce quant à Christian Ranucci, un gars d’une vingtaine d’années dont la culpabilité était plus que douteuse (2)...

    Et puis, à mi-mandat, vint la fin des trente glorieuses et la situation économique se dégrada. Alors le Grand Modernisateur durcit le ton avec, en particulier, la promulgation de la très contestée loi Sécurité et Liberté(3), première d’une longue série de lois liberticides. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les commentateurs politiques actuels ont peu rappelé ce fait d’armes qui sonne comme un drôle d’écho avec la loi Sécurité Globale d’aujourd’hui. Après la grande peur de Mai-68, les libéraux commençaient leur long remodelage de la société jusqu’à aujourd’hui : plus de libertés pour les capitaux qui implique plus de contrôle des populations. Et c’est Giscard qui a ouvert le bal.

    Ce durcissement s’est traduit, entre autres, envers ceux qui refusaient le service militaire en demandant un statut d’objecteur de conscience – et que je soutenais. Ainsi, à cause de cela, j’étais inculpé en 1981 avec trois autres camarades. Si Giscard était passé, nous aurions sans doute eu droit à des condamnations. La même répression s’abattait aussi sur les promoteurs des radios libres par exemple. Bref, le climat social d’alors n’avait rien d’une modernisation heureuse mais traduisait un essai de mise au pas des contestations du nouveau cours du capital. Il faut se rappeler aussi que le service d’ordre des meetings giscardiens était assuré à l’occasion par des nervis d’extrême-droite, du GUD(4) notamment. Et je me souviens, lors d’un collage d’affiches pour Mitterrand l’avant-veille du 10 mai 1981, avoir dû renoncer à le faire. Nous étions pourtant une vingtaine mais la ville de Saint-Claude (Jura) et tous ses environs étaient, cette nuit-là, quadrillés par des dizaines de types - avec fourgonnettes et talkies-walkies à tous les carrefours. Ils collaient pour Giscard en empêchant tout autre collage. Un souvenir marquant.

    Après le désaveu de 1981, Giscard n’est jamais revenu véritablement au premier plan, sauf peut-être en 2005, lorsqu’il rédigea le fameux Traité Constitutionnel Européen. Et ce fut un deuxième rejet aussi retentissant que le premier ! Bref, à l’instar des animaux sauvages qu’il abattait sur toute la planète jusqu’à ces dernières années, nous ne regretterons pas le grand serviteur du capital.
    AL
    DECEMBRE 2020

    (1)Clin d’oeil au documentaire de J.L. Debré : « Mon Chirac », sur la chaîne « Fraisdebouche », bénéfices presque intégralement reversés aux sans-abris de la Ville de Paris.

    (2)Voir le livre « Le pull-over rouge » de Gilles Perrault.

    (3) Loi finalisée début 1981 par le garde des Sceaux d’alors, Alain Peyrefitte.

    (4)Le Groupe Union Défense, fondé en 1968.