NPA Bourgogne Franche-Comté
  • LE CAS ONFRAY

    12 mai 2021

    Dans un entretien accordé à un journaliste du Figaro*, M.Onfray fait le bilan des deux mandats de Mitterrand à l’Elysée. Pourquoi pas, et l’on ne peut qu’être d’accord avec une partie de l’interview dans laquelle il établit un constat assez banal de l’animal politique Mitterrand. Comme quoi il n’était pas vraiment un homme de gauche mais un arriviste venu de l’extrême-droite, un caméléon évoluant par la suite vers un corpus idéologique vaguement socialisant et surtout libéralisant après 1983 (le tournant de la rigueur) et 1992 (le traité de Maastricht).
    Cependant, avec un peu d’objectivité, Onfray aurait pu mettre à l’actif de Mitterrand, non pas « Rien » comme il le conclut de manière péremptoire, mais une certaine finesse dans la gestion supérieure de sa longue carrière politique : opiniâtre pour s’évader de son camp de prisonniers en 1941, rejoignant l’administration vichyste, ministre sous la IVème République, contribuant à réunifier le PS ensuite, à sortir la gauche de 23 ans d’opposition, élu deux fois à la présidence, ayant minoré le PCF, divisé la droite... Bref, Mitterrand, trou noir plutôt qu’étoile éclairante, aura réussi à rouler à peu près tout le monde.

    Et puis, dans le reste de l’entretien, les choses se gâtent dramatiquement. D’abord, dans le style « C’était mieux avant », le PCF ancienne manière a droit à un bon point pour sa volonté d’alors « d’une immigration choisie » - ce qui constitue pourtant une manière de pillage des forces vives des pays émergents. Un bon point encore pour « (sa) rigueur morale sur les questions de drogue, sinon de famille ». Et en effet, le PCF que regrette Onfray fut un temps contre le contrôle des naissances via la pilule et l’avortement. Ce PCF, « Certes prosoviétique » (un détail de l’Histoire ?) mais tellement « défenseur d’une politique de civilisation » que le bilan semble pour Onfray globalement positif - comme le disait Georges Marchais, cité deux fois, et pas de manière péjorative, par le philosophe nostalgique.

    Surtout, avec des termes et des raisonnements empruntés au fascisme, il accuse un surpuissant Mitterrand post-socialiste d’avoir été un promoteur du « cosmopolitisme » et du « métissage », bref d’un antiracisme dévoyé à des fins antipatriotiques quand il le taxe « (...) d’antiracisme, (qui) luttait pour l’européisme,(...) la dilution de la France dans un grand marché planétaire ». Et il conclut telle une chemise noire des années vingt : « C’est le projet d’État universel, d’État total, de gouvernement planétaire qui est visé. » A part que ce n’est plus le Juif derrière tout ça, mais une certaine « fachosphère de gauche », héritage indirect du Mitterrand dernière période... Faut suivre !
    Et comment se manifeste cette nouvelle fachosphère de gauche ? En promouvant « les marges - ethnique, religieuse, sexuelle, (qui) quand elles marchent main dans la main, on les dit aujourd’hui intersectionnelles ». Eh, oui ! pour Onfray, ne parlez plus de lutte de classes ni de capitalisme : le nouvel ennemi, la bête à abattre, c’est l’intersectionnalité. Chaque matin, en se réveillant inquiets, beaucoup de gens se demandent quels maux va encore engendrer l’intersectionnalité... Mais aussi « les décolonialistes, (...) les néoféministes, les antisionistes, les islamo-gauchistes,(...) ».

    Arrêtons là bien qu’il y ait encore des wagons d’anathèmes de ce genre et de périlleuses acrobaties déductives. Notons seulement deux choses, pour finir : d’abord l’énorme contradiction entre son positionnement proudhonien et son évolution vers un souverainisme à la Zemmour. C’est que les contradictions ne gênent pas trop un intellectuel médiatique qui évolue certes sincèrement vers la droite, mais qui a surtout un gros ego. C’est ce dernier sa boussole et son cap : « Je n’ai pas eu besoin de quarante années pour comprendre ce que j’avais déjà saisi en mars 1983 » assène-t-il fort modestement dès le début de l’interview.
    Ensuite, notons comme une étourderie de sa part lorsqu’il accuse : « Mais le compagnonnage entre le fascisme et la gauche n’est pas une affaire nouvelle. De la présence du mot « socialisme » dans national-socialisme, une évidence sémantique et idéologique que l’on n’interroge jamais ». Car l’étourneau fournit ainsi le lance-pierre pour se faire caillasser : si les fascistes étaient nationaux et sociaux, lui est un social qui évolue vers le national. Que ce Narcisse se regarde donc mieux dans le miroir, il verra comme une mèche et une petite moustache qui poussent...

    Alain Lorenzati
    mai 2021

    * https://www.lefigaro.fr/vox/politique/michel-onfray-mitterrand-a-tue-la-gauche-avec-un-fusil-a-deux-coups-20210416