Ces deux thèmes ont dominé l’actualité entre les deux tours des régionales et départementales 2021. Ils pourraient bien être liés mais, avant d’examiner en quoi, voyons d’abord les explications avancées quant à l’abstention.
Beaucoup arguent de causes conjoncturelles : la peur du Covid, malgré le déconfinement, car des habitudes de « distanciation sociale » avaient été prises. D’autant que des mesures limitatives étaient toujours en vigueur empêchant les candidats de faire campagne correctement. D’autres avancent le peu d’incitations médiatiques pour aller voter, ainsi que le fiasco de la distribution des documents électoraux. Certains voient même là la main de l’Elysée à qui l’on reproche d’avoir tout fait pour boycotter ces élections. Ces explications sont en partie recevables. La dernière aussi mais, en pareilles circonstances dans le passé, d’autres pouvoirs en place ont également minoré des épisodes électoraux intermédiaires. De même, ce ne sera pas en multipliant les campagnes publicitaires en faveur du vote – qui revient à sous-estimer le sens civique des citoyens - ou en proposant le vote électronique que l’on modifiera la donne. Cette dernière pathétique proposition étant d’ailleurs révélatrice de l’état d’esprit des libéraux : à un problème de fond dont ils sont la cause, ils cherchent une parade purement technologique, comme si l’outil seul pouvait par miracle faire des citoyens vertueux. C’est un peu comme l’installation de caméras, de portiques ou de numéros verts pour soi-disant nous sauver des problèmes d’incivisme.
En fait, les vraies causes de l’abstention ne sont pas de cet ordre mais relèvent de choix politiques délibérés qui ont entraîné le désintérêt des citoyens. A commencer par toutes ces fusions à marche forcée de communes et de régions. Au prétexte de faire des économies - ce qui a moyennement réussi, tant la bureaucratie élective ne se laisse pas amoindrir. Au prétexte aussi d’entités plus fonctionnelles, en fait surtout en faveur du développement des marchés territoriaux plutôt que en faveur du citoyen ainsi éloigné des centres de décision. Certes, déjà avant les fusions, les citoyens avaient tendance à moins s’impliquer mais on pouvait y remédier en partie, entre autres, en mettant en place des exécutifs plus collégiaux ou avec de véritables référendums locaux. Et que dire de cette modification de la constitution en 2000 qui a instauré le quinquennat avec primauté à l’élection présidentielle ? L’exécutif surpuissant, le législatif n’est plus qu’un lieu de paroles vides, de postures sans conséquences alimentant le dégoût des citoyens pour les affaires publiques. Si vous ajoutez à ce tableau des équipes dirigeantes prétendument opposées qui pratiquent les mêmes politiques de soumission à des dogmes de gestion présentés comme des fatalités, on voit que les gens ont parfaitement saisi la situation en se désintéressant de voter. Encore plus fort dans la démobilisation de l’électeur : lorsque nombre de candidats étiquetés à gauche ont mis en selle la pernicieuse consigne du « vote utile » face au RN et récemment face à LFI. Car à partir du moment où un bord politique appelle à voter pour un bord différent, la confusion s’accentue. Il semble même qu’il y ait désormais une corrélation entre mise en avant du front républicain et montée de l’abstention.
Au final, il faut savoir cependant que ces choix institutionnels ayant démobilisé les citoyens ont été activés par des politiciens acquis d’avance aux demandes des acteurs économiques et financiers. Politiques, gros contribuables et capitalistes ont remodelé de concert les entités politico-administratives nationales et territoriales pour leur plus grand bénéfice. Des fusions pour faire des économies d’échelle et donc moins d’impôts pour les gros contribuables. Des fusions pour de plus gros marchés publics auxquels ne peuvent répondre que les plus grosses entreprises. Des exécutifs moins nombreux, resserrés, puissants, opaques pour être plus faciles à convaincre, contrôler voire corrompre - que ce soit l’Elysée, une présidence de région, de département ou d’une gigantesque communauté de communes... La marche à suivre pour remédier à cela se déduit de ce constat : des entités décisionnelles plus collectives et transparentes, au plus près des citoyens, sur leurs lieux de vie comme sur leurs lieux de travail – le tout en prenant le temps du débat démocratique.
AL
Juin 2021